
Le territoire des Hauts-de-France représente un véritable berceau brassicole où l'art de la bière s'entremêle intimement avec une gastronomie riche et authentique. Cette région frontalière, imprégnée d'influences flamandes, picardes et champenoises, cultive depuis des siècles un patrimoine culinaire d'exception. Avec près de 200 brasseries actives aujourd'hui, les départements du Nord, du Pas-de-Calais, de la Somme, de l'Aisne et de l'Oise perpétuent des traditions ancestrales tout en embrassant l'innovation moderne des brasseurs artisanaux. Les estaminets typiques, véritables institutions culturelles, proposent dans une ambiance chaleureuse ces bières locales accompagnées de plats mijotés où la bière constitue souvent un ingrédient majeur.
Histoire brassicole des Hauts-de-France : héritage et patrimoine
L'histoire de la bière dans les Hauts-de-France remonte à l'époque gallo-romaine, mais c'est véritablement au Moyen Âge que cette boisson s'impose comme élément central de la vie quotidienne. Au début du XXe siècle, la région comptait plus de 2000 brasseries, témoignant d'un maillage territorial exceptionnel. Ce nombre a drastiquement chuté à seulement 16 établissements en 1986, conséquence de l'industrialisation et de la concentration du secteur. Les années 1990 et 2000 ont cependant marqué un tournant décisif avec la renaissance des micro-brasseries, redonnant ses lettres de noblesse à un savoir-faire séculaire que beaucoup croyaient perdu.
Les traditions brassicoles du Nord s'inscrivent dans une longue lignée d'innovations et d'adaptations. La technique de garde, notamment, permettant de conserver la bière plus longtemps, a constitué une réponse ingénieuse aux contraintes climatiques locales. Aujourd'hui, les Hauts-de-France représentent la deuxième région française productrice de houblon avec environ 50 tonnes récoltées annuellement, reflétant la vitalité retrouvée d'une filière emblématique du territoire.
Les brasseries monastiques médiévales et leur influence dans le Nord-Pas-de-Calais
Dès le XIIe siècle, les abbayes du Nord-Pas-de-Calais se sont imposées comme des centres d'excellence brassicole. Les moines, véritables précurseurs, ont élaboré des techniques sophistiquées pour brasser des bières nourrissantes et purifiées, essentielles durant les périodes de jeûne. L'Abbaye du Mont des Cats, l'Abbaye de Saint-Amand ou encore celle de Vaucelles près de Cambrai ont joué un rôle prépondérant dans l'évolution des méthodes de brassage qui définissent encore aujourd'hui le caractère distinctif des bières nordistes.
Ces communautés religieuses ont perfectionné l'ajout d'herbes et d'épices pour aromatiser leurs bières bien avant l'introduction généralisée du houblon. L'utilisation du gruit, un mélange d'herbes comprenant notamment la myrica gale (piment royal), constituait une signature aromatique unique. Les recettes monastiques, jalousement gardées pendant des siècles, ont posé les fondements des profils organoleptiques que l'on retrouve dans de nombreuses bières de garde contemporaines.
La bière monastique représentait bien plus qu'une simple boisson – elle incarnait un savoir-faire technique, une approche nutritionnelle réfléchie et une expression culturelle profondément ancrée dans l'identité régionale du Nord-Pas-de-Calais.
Renaissance des micro-brasseries artisanales à lille et dans la métropole
Depuis les années 1990, Lille et sa métropole connaissent un renouveau brassicole spectaculaire. La Brasserie Thiriez, fondée en 1996, figure parmi les pionnières de ce mouvement, suivie par la Brasserie Moulins d'Ascq en 1999. Ce phénomène s'est considérablement amplifié durant les années 2010, transformant Lille en véritable capitale brassicole avec une concentration remarquable d'établissements créatifs et audacieux. Des brasseries comme Celestin, Cambier ou encore Brique House illustrent parfaitement cette effervescence créative qui caractérise désormais le paysage brassicole lillois.
Le modèle économique de ces micro-brasseries repose sur des circuits courts, une personnalisation poussée et une relation directe avec les consommateurs. Ces structures à taille humaine privilégient la qualité et l'originalité plutôt que les volumes de production. La dimension participative s'avère également essentielle, avec des événements réguliers comme les "tap takeover" où les brasseurs présentent leurs créations éphémères, renforçant ainsi le lien social autour de la bière artisanale.
Cette renaissance s'accompagne d'une véritable culture du "beer-geek", ces passionnés avides de découvertes et d'expériences gustatives inédites. Les bars à bières spécialisés comme le Hop Corner ou le What's Up Bar à Lille sont devenus des lieux de sociabilité essentiels où s'échangent connaissances et appréciations autour des dernières créations brassicoles de la métropole.
Brasserie castelain et ch'ti : symboles du renouveau brassicole régional
Fondée en 1926 à Bénifontaine près de Lens, la Brasserie Castelain incarne la résilience et l'adaptation d'un savoir-faire traditionnel face aux évolutions du marché. Dans les années 1980, alors que l'industrie brassicole traversait une crise profonde, Yves Castelain a fait le pari audacieux de la qualité en lançant la bière Ch'ti. Ce produit emblématique, dont le nom évoque fièrement l'identité régionale, a contribué à revaloriser l'image des bières artisanales du Nord auprès du grand public.
La gamme Ch'ti, avec ses déclinaisons blonde, ambrée et triple, illustre parfaitement la variété des styles brassicoles régionaux. La brasserie a su préserver des méthodes traditionnelles comme la fermentation haute et la garde longue, tout en modernisant ses infrastructures pour garantir une qualité constante. L'engagement environnemental constitue également une priorité, avec l'installation de panneaux solaires et une gestion optimisée des ressources en eau.
Le succès de Castelain démontre qu'une entreprise familiale peut prospérer face aux géants industriels en misant sur l'authenticité et l'ancrage territorial. La brasserie a joué un rôle précurseur en développant des bières biologiques dès 1999 avec la gamme Jade, anticipant ainsi les tendances actuelles du marché vers des produits plus naturels et respectueux de l'environnement.
La route des brasseries flamandes entre bailleul et dunkerque
La Flandre française, région frontalière avec la Belgique, constitue un terroir d'exception pour l'élaboration de bières caractéristiques. Entre Bailleul et Dunkerque, une véritable route touristique s'est développée, jalonnée de brasseries artisanales perpétuant des traditions séculaires. La Brasserie du Pays Flamand à Blaringhem, reconnue internationalement pour son Anosteké, représente l'un des fleurons de ce parcours. Cette bière a notamment été couronnée lors des World Beer Awards, confirmant l'excellence des productions locales.
À Esquelbecq, la Brasserie Thiriez s'est imposée comme référence des bières de fermentation haute, notamment avec sa célèbre Esquelbecquoise. Plus au nord, vers Bergues et Dunkerque, des établissements comme la Brasserie des 2 Caps à Tardinghen ou la Brasserie Terre et Tradition à Querqueville complètent ce maillage territorial exceptionnel. Chaque brasserie cultive sa spécificité tout en partageant un attachement commun aux ingrédients locaux.
Ce circuit touristique attire de nombreux amateurs, français et étrangers, curieux de découvrir l' art brassicole flamand dans son contexte authentique. Les visites guidées permettent d'appréhender les étapes de fabrication tandis que les dégustations révèlent la diversité aromatique exceptionnelle de ces productions artisanales. Ce tourisme brassicole contribue significativement à l'économie locale et à la préservation de savoir-faire traditionnels.
Styles de bières emblématiques du nord
Les Hauts-de-France se distinguent par une diversité remarquable de styles brassicoles, reflétant la richesse d'un patrimoine culturel façonné par des influences multiples. La région excelle particulièrement dans la production de bières de caractère, aux profils aromatiques complexes et aux techniques d'élaboration spécifiques. Contrairement aux productions standardisées, les bières du Nord cultivent des personnalités distinctives qui témoignent d'une véritable compréhension des équilibres gustatifs et de l'expression des terroirs locaux.
L'influence des traditions belges se fait naturellement sentir dans les zones frontalières, notamment avec l'élaboration de triples aux notes épicées et aux taux d'alcool élevés. Plus à l'ouest, vers le littoral, les brasseurs privilégient souvent des profils plus secs et houblonnés. Cette diversité stylistique constitue une richesse inestimable pour les amateurs qui peuvent explorer une palette gustative exceptionnelle sans quitter la région.
Bière de garde : méthode traditionnelle de fermentation et profils aromatiques
La bière de garde représente indéniablement le style emblématique des Hauts-de-France, incarnant l'essence même du savoir-faire brassicole régional. Historiquement élaborée durant les mois froids pour être consommée pendant l'été, cette bière doit son nom à sa période de maturation prolongée – généralement entre six et huit semaines – qui lui confère une complexité aromatique distinctive. La fermentation s'effectue à température relativement élevée (15-20°C) avant une garde à basse température (0-4°C), permettant le développement d'esters fruités équilibrés par des notes maltées profondes.
Le profil organoleptique des bières de garde se caractérise par une structure maltée prononcée, offrant des notes de caramel, de biscuit et parfois de fruits secs. L'amertume reste généralement modérée, servant principalement à équilibrer la richesse maltée plutôt qu'à dominer le profil gustatif. Les versions ambrées présentent souvent des nuances de fruits confits, tandis que les variantes blondes développent des notes plus florales et épicées.
Des références emblématiques comme la Jenlain de la Brasserie Duyck, la 3 Monts de Saint-Sylvestre ou encore la Goudale d'Arques illustrent parfaitement les variations possibles au sein de ce style. Leur taux d'alcool relativement élevé (généralement entre 6% et 8,5%) et leur corps généreux en font des bières de dégustation par excellence, particulièrement adaptées à l'accompagnement gastronomique.
Les bières saison de la région d'arras et du hainaut
Originellement brassées pour désaltérer les travailleurs agricoles durant les mois d'été, les bières de style saison connaissent aujourd'hui un regain d'intérêt majeur dans la région d'Arras et du Hainaut. Ces bières se distinguent par leur caractère vif et rafraîchissant, avec une carbonatation élevée et une sécheresse finale qui stimule la soif. Leur fermentation implique généralement des souches de levures spécifiques qui produisent des esters fruités et des phénols épicés caractéristiques.
Dans le Hainaut français, région historiquement liée à la Wallonie belge, les brasseries comme Page 24 à Bapaume ou Au Baron à Gussignies perpétuent cette tradition avec des interprétations contemporaines remarquables. Ces productions se caractérisent par un houblonnage aromatique prononcé, apportant des notes agrumées et herbacées qui complètent harmonieusement le profil épicé des levures.
La palette aromatique des saisons régionales comprend typiquement des notes de poivre blanc, de citron, de foin fraîchement coupé et parfois des touches rustiques rappelant le terroir. Leur degré d'alcool varie généralement entre 5% et 7%, offrant une structure suffisante pour supporter une complexité aromatique sans compromettre leur caractère désaltérant fondamental.
Triple et blonde forte : l'influence belge dans les brasseries de la frontière
Le long de la frontière franco-belge, particulièrement dans les zones de l'Avesnois et de la Flandre française, les brasseurs locaux ont naturellement intégré l'influence des abbayes trappistes belges dans leurs créations. Les bières triples, caractérisées par leur taux d'alcool élevé (généralement entre 8% et 10%) et leur richesse aromatique, constituent une spécialité régionale particulièrement appréciée. Ces bières dorées aux reflets lumineux dissimulent sous une apparente légèreté une puissance alcoolique considérable, équilibrée par une amertume raffinée.
La Brasserie du Pays Flamand avec sa célèbre Anosteké Triple, la Brasserie Thiriez avec la Grande Blonde d'Esquelbecq ou encore la Brasserie Saint-Germain avec sa Page 24 Réserve Hildegarde Blonde illustrent parfaitement cette maîtrise des fermentations complexes. Le processus d'élaboration implique généralement l'utilisation de sucres simples en complément du malt, permettant d'atteindre des degrés alcooliques élevés sans alourdir excessivement le corps de la bière.
Au niveau gustatif, ces triples développent des profils complexes où se mêlent des notes d'épices douces (vanille, clou de girofle), de fruits (banane, poire), parfois rehaussées par des touches légèrement phénoliques rappelant le poivre blanc. La fermentation secondaire en bouteille leur confère une effervescence fine et persistante qui allège l'ensemble et facilite la dégustation malgré leur puissance.
Bières ambrées et brunes du cambrésis et de l'avesnois
Les terres du Cambrésis et de l'Avesnois, avec leurs p
Les terres du Cambrésis et de l'Avesnois, avec leurs paysages vallonnés et leurs traditions rurales préservées, constituent le berceau d'une tradition brassicole spécifique axée sur les bières ambrées et brunes. Ces créations, aux reflets acajou profond ou rubis chatoyant, incarnent l'âme rustique et chaleureuse de ces territoires. La Brasserie Historique de l'Abbaye du Cateau-Cambrésis, installée dans d'anciens bâtiments monastiques, perpétue ce patrimoine avec sa gamme Vivat proposant des bières de caractère aux notes caramélisées et torréfiées.
Ces bières se distinguent par leur profil aromatique complexe où dominent les notes de pain grillé, de fruits secs, de café et parfois de réglisse. Leur élaboration repose sur l'utilisation de malts spéciaux - caramel, chocolat, torréfié - qui apportent à la fois couleur et richesse gustative. La Brasserie Bavaisienne dans l'Avesnois s'est également fait remarquer avec sa "Brune de Bavay", bière aux accents de cacao et de moka, révélant une subtile acidité qui rappelle celle des ales brunes historiques de la région.
Contrairement aux idées reçues, ces bières foncées ne sont pas nécessairement plus alcoolisées ou plus lourdes que leurs homologues blondes. Les versions traditionnelles du Cambrésis développent généralement une douceur maltée équilibrée par une amertume discrète, créant des bières remarquablement digestibles malgré leur apparente richesse. Cette caractéristique les rend particulièrement adaptées à l'accompagnement des spécialités fromagères locales comme le Maroilles ou la Boulette d'Avesnes.
Terroir et ingrédients du brassage nordiste
Les Hauts-de-France bénéficient d'un environnement particulièrement propice à l'élaboration de bières de caractère. Le terroir régional, façonné par un climat tempéré océanique et des sols riches en limons, offre des conditions privilégiées pour la culture des matières premières essentielles au brassage. Cette relation intime entre territoire et production brassicole constitue l'un des fondements de l'identité gustative des bières nordistes. Loin d'être de simples boissons désaltérantes, ces créations reflètent la géographie, l'histoire et les savoir-faire spécifiques de leurs lieux d'origine.
La dimension artisanale du brassage s'exprime notamment à travers le choix minutieux des ingrédients. Les brasseurs de la région privilégient de plus en plus les circuits courts et les partenariats avec des producteurs locaux. Cette tendance s'inscrit dans une volonté de valorisation du patrimoine agricole régional tout en répondant aux attentes des consommateurs en matière de traçabilité et d'authenticité.
Houblons régionaux et relance des cultures à steenwerck et godewaersvelde
Après plusieurs décennies de déclin, la culture du houblon connaît une véritable renaissance dans le Nord. Historiquement concentrée autour de Poperinge (Belgique) et dans les Flandres françaises, cette plante grimpante trouve dans la région un environnement particulièrement favorable à son développement. À Steenwerck et Godewaersvelde, des projets ambitieux de replantation ont vu le jour, portés par des agriculteurs passionnés déterminés à revitaliser cette culture emblématique. La houblonnière de Steenwerck, notamment, cultive désormais plusieurs variétés traditionnelles comme le Northern Brewer et le Fuggle, mais aussi des variétés plus récentes adaptées aux nouvelles tendances brassicoles.
L'Association Houblons de France, dont le siège se trouve à Godewaersvelde, joue un rôle crucial dans cette dynamique de relance. Elle accompagne les producteurs dans leurs démarches techniques tout en assurant la promotion de ces houblons locaux auprès des brasseurs. Les variétés régionales se distinguent par leurs profils aromatiques spécifiques, influencés par la nature des sols et les conditions climatiques. Le Strisselspalt d'Alsace adapté au terroir flamand développe ainsi des notes herbacées et florales particulièrement recherchées pour les bières de style saison et blonde de garde.
Le houblon n'est pas qu'une plante amère, c'est un véritable marqueur territorial qui porte en lui l'empreinte gustative unique de nos terres du Nord. Sa renaissance symbolise notre attachement à un patrimoine vivant et dynamique.
La récolte du houblon, ou "cueille", demeure un moment fort du calendrier agricole local. Cette opération méticuleuse, traditionnellement réalisée en septembre, mobilise encore parfois des équipes de cueilleurs qui séparent manuellement les cônes de leurs tiges. Si la mécanisation a largement simplifié ce processus, certains producteurs maintiennent volontairement des pratiques manuelles pour préserver l'intégrité des cônes les plus délicats, notamment pour les houblons destinés au dry-hopping (houblonnage à froid).
Malteries artisanales de douai et techniques spécifiques
Le renouveau de la filière brassicole s'accompagne d'une redécouverte de l'importance du maltage artisanal. Si les grandes malteries industrielles dominent encore largement le marché, la région de Douai a vu émerger plusieurs initiatives visant à réintroduire des techniques traditionnelles de transformation de l'orge. La Malterie du Vieux Douai, installée dans d'anciens bâtiments réhabilités, a ainsi renoué avec des méthodes ancestrales comme le maltage par germination sur dalle, procédé qui permet une transformation plus lente et plus homogène des grains d'orge.
Ces malteries artisanales travaillent en étroite collaboration avec des agriculteurs locaux pratiquant des méthodes culturales respectueuses de l'environnement. Les variétés d'orge brassicole comme la Prestige, l'Odyssey ou la Sebastian sont sélectionnées tant pour leurs qualités techniques (teneur en protéines, capacité germinative) que pour leur adaptation aux conditions pédoclimatiques régionales. Le maltage constitue une étape cruciale qui détermine largement le profil aromatique final de la bière, notamment à travers le niveau de touraillage (séchage) qui influence directement la couleur et les arômes du malt.
Certaines malteries proposent désormais des créations spécifiques comme les malts "terroir" élaborés à partir d'orges cultivées sur des parcelles identifiées, permettant d'exprimer les nuances gustatives liées à la nature des sols. Cette approche, inspirée du concept de terroir viticole, ouvre de nouvelles perspectives pour les brasseurs artisanaux en quête d'originalité et d'authenticité. Les techniques de touraillage spécifiques développées à Douai permettent également d'obtenir des malts caramélisés aux profils uniques, particulièrement appréciés pour l'élaboration des bières ambrées traditionnelles de la région.
Eau et caractéristiques géologiques des bassins brassicoles
Si le houblon et le malt occupent souvent le devant de la scène, l'eau demeure l'ingrédient principal de la bière, représentant environ 90% de sa composition. Les caractéristiques hydrogéologiques des différents bassins brassicoles des Hauts-de-France influencent considérablement les profils des bières locales. Dans la région lilloise, les eaux relativement calcaires favorisent naturellement l'élaboration de bières rondes et maltées, tandis que les eaux plus douces du Boulonnais se prêtent davantage aux styles légers et houblonnés.
Historiquement, les brasseries s'implantaient à proximité de sources ou de cours d'eau dont la composition minérale était jugée favorable. La Brasserie Saint-Sylvestre à Saint-Sylvestre-Cappel utilise ainsi depuis plus d'un siècle l'eau d'un puits artésien dont la pureté et l'équilibre minéral participent à la signature gustative de ses productions, notamment la célèbre 3 Monts. Les analyses poussées réalisées par les laboratoires brassicoles régionaux révèlent des profils minéraux spécifiques selon les zones géographiques, avec des variations notables en termes de dureté, d'alcalinité et de concentration en sulfates ou chlorures.
Face aux exigences techniques de certains styles brassicoles, de nombreuses brasseries contemporaines pratiquent désormais des corrections de leur eau de brassage. Ces ajustements permettent de reproduire les profils hydriques historiques des grandes régions brassicoles européennes. Ainsi, pour élaborer des IPA inspirées des créations britanniques, certains brasseurs nordistes enrichissent leur eau en sulfates de calcium pour accentuer l'amertume et la sécheresse en bouche. À l'inverse, pour des bières de style bohémien, l'eau peut être adoucie et enrichie en chlorures pour favoriser la rondeur et l'expression maltée.
Spécialités culinaires traditionnelles du nord
La gastronomie des Hauts-de-France, généreuse et conviviale, entretient une relation privilégiée avec la bière qui dépasse largement le cadre de la simple boisson d'accompagnement. Véritable ingrédient culinaire, la bière s'invite dans de nombreuses préparations emblématiques où elle apporte complexité aromatique et profondeur gustative. Ces spécialités régionales, transmises de génération en génération, témoignent d'une culture culinaire pragmatique qui a su transformer des contraintes historiques (climat rigoureux, nécessité de conservation) en atouts gastronomiques.
La cuisine du Nord se caractérise par ses saveurs franches, ses cuissons longues et son goût prononcé pour les associations sucrées-salées. L'influence flamande se manifeste notamment dans l'utilisation généreuse de la bière comme agent de cuisson, apportant à la fois du goût et un effet attendrissant sur les viandes. Cette tradition culinaire, longtemps cantonnée aux estaminets et aux tables familiales, connaît aujourd'hui un véritable renouveau grâce à des chefs talentueux qui revisitent ce patrimoine avec une sensibilité contemporaine.
Carbonade flamande et techniques de préparation à la bière brune
Plat emblématique s'il en est, la carbonade flamande représente l'alliance parfaite entre gastronomie régionale et production brassicole. Cette préparation mijotée combine des morceaux de bœuf (traditionnellement du paleron ou de la joue) longuement attendris dans une sauce à la bière brune. Le choix de cette dernière s'avère déterminant pour le profil final du plat : les brasseurs et chefs locaux recommandent généralement des bières aux notes caramélisées et légèrement torréfiées comme la Goudale brune ou la Ch'ti brune, dont les arômes maltés se marient parfaitement avec la viande.
La préparation traditionnelle implique plusieurs étapes essentielles qui garantissent la richesse gustative de ce plat. Le caramélisation initiale de la viande à feu vif est suivie d'une cuisson lente (minimum trois heures) à couvert, permettant aux fibres de se détendre progressivement. L'ajout de pain d'épices tartiné de moutarde à l'ancienne constitue une signature régionale qui apporte à la fois onctuosité, douceur et une légère note épicée contrebalançant l'amertume résiduelle de la bière. Contrairement aux idées reçues, l'alcool s'évapore presque entièrement durant la cuisson, ne laissant que les arômes complexes de la bière.
Dans le Valenciennois et l'Avesnois, certaines variantes incorporent des pruneaux ou des raisins secs, renforçant la dimension sucrée-salée chère à la cuisine flamande. Les restaurateurs du Vieux-Lille proposent souvent la carbonade accompagnée de pommes de terre fraîches cuites en robe des champs, dont la simplicité contraste harmonieusement avec la richesse de la sauce. Ce plat symbolise la convivialité nordiste et continue d'évoluer sous l'impulsion de chefs contemporains qui expérimentent avec différentes variétés de bières artisanales pour créer des versions personnalisées de ce grand classique régional.
Le welsh rarebit de boulogne et ses variantes régionales
Bien qu'originaire du Pays de Galles comme son nom l'indique, le welsh rarebit s'est profondément enraciné dans la culture gastronomique du Nord, particulièrement dans le Boulonnais. Cette préparation réconfortante consiste en une tranche de pain de campagne recouverte d'une sauce au cheddar fondu dans la bière, gratinée au four. Dans sa version boulonnaise traditionnelle, le welsh incorpore également du jambon blanc et un œuf sur le plat disposé sur le dessus, transformant cette simple tartine en un plat complet et généreux.
Le choix de la bière constitue un élément déterminant pour la réussite de cette recette. Les établissements réputés comme "Le Welsh" à Boulogne-sur-Mer ou "Au Vieux de la Vieille" à Lille privilégient généralement des bières ambrées comme la Jenlain ou la 3 Monts, dont les notes maltées et caramélisées se marient parfaitement avec le caractère prononcé du cheddar. La préparation de la sauce requiert une attention particulière pour obtenir la texture onctueuse caractéristique : la bière doit être incorporée progressivement au fromage fondu, souvent complété d'une touche de crème fraîche et relevé d'une pointe de moutarde et de worcestershire sauce.
Les variantes régionales témoignent de la créativité culinaire des différents terroirs nordistes. Dans le Montreuillois, le "welsh marin" intègre des fruits de mer locaux comme les moules de Bouchot. À Arras, la version appelée "welsh montagnard" se distingue par l'utilisation de lardons fumés et parfois de champignons des bois. Dans l'Audomarois, certains établissements proposent un "welsh du marais" incorporant des légumes cultivés dans les jardins maraîchers caractéristiques de cette région. Ces déclinaisons, tout en respectant l'esprit convivial du plat original, témoignent de l'appropriation créative d'une recette devenue emblématique de la gastronomie des Hauts-de-France.