
La France, terre bénie des dieux de la vigne et des spiritueux, cultive depuis des millénaires un art de vivre liquide reconnu mondialement. Ce patrimoine gustatif, fruit d'un terroir d'exception et d'un savoir-faire ancestral, s'exprime à travers chaque bouteille produite sur le sol français. Des coteaux escarpés de l'Alsace aux terres calcaires de Cognac, en passant par les sols argilo-calcaires de la Champagne, les artisans français perpétuent des traditions séculaires tout en innovant constamment. Cette alchimie subtile entre respect du passé et regard vers l'avenir constitue la signature inimitable des boissons françaises.
Des vins d'exception aux spiritueux raffinés, en passant par une scène brassicole en pleine renaissance, les produits liquides français incarnent l'excellence et le raffinement. Chaque région, chaque terroir, chaque producteur apporte sa pierre à cet édifice gustatif qui fait rayonner la France aux quatre coins du monde. Plus qu'un simple produit de consommation, ces nectars représentent un véritable patrimoine culturel, transmis de génération en génération avec passion et dévouement.
L'histoire des traditions viticoles françaises et leur rayonnement mondial
Le vin fait partie intégrante de l'identité française depuis plus de deux millénaires. Ce breuvage, bien plus qu'une simple boisson, raconte l'histoire d'un pays, de ses habitants et de leur relation privilégiée avec leur environnement. La viticulture française s'est construite pierre après pierre, patiemment, à travers les siècles, pour devenir un modèle d'excellence reconnu internationalement. Ce patrimoine unique, façonné par des générations de vignerons passionnés, continue d'influencer la production viticole mondiale et d'inspirer les amateurs comme les professionnels.
Des origines gallo-romaines aux AOC modernes : l'évolution du vignoble français
L'histoire viticole française débute véritablement avec l'arrivée des Romains en Gaule au Ier siècle avant J.-C. Ces conquérants apportent avec eux la culture de la vigne et des techniques de vinification avancées. Les premières vignes sont plantées autour de Massalia (Marseille) puis remontent progressivement la vallée du Rhône. À la chute de l'Empire romain, les monastères prennent le relais et deviennent les principaux gardiens du savoir viticole, notamment en Bourgogne avec les moines cisterciens qui développent le concept de climat , ces parcelles aux caractéristiques uniques.
Le Moyen Âge voit l'extension du vignoble français et l'émergence de régions viticoles qui font encore aujourd'hui la renommée de la France. Les vins de Bordeaux connaissent un essor considérable grâce aux échanges commerciaux avec l'Angleterre après le mariage d'Aliénor d'Aquitaine avec Henri Plantagenêt en 1152. La viticulture française traverse ensuite des périodes difficiles, notamment avec la crise du phylloxéra à la fin du XIXe siècle qui détruit près de 40% du vignoble français.
Le XXe siècle marque un tournant décisif avec la création du système des Appellations d'Origine Contrôlée (AOC) en 1935. Cette législation pionnière, initiée par le Baron Pierre Le Roy de Boiseaumarié, protège les terroirs et codifie les pratiques viticoles. Elle pose les bases d'une hiérarchisation qualitative qui servira de modèle à de nombreux pays viticoles. Aujourd'hui, la France compte plus de 360 AOC viticoles, témoignant de la richesse et de la diversité de son patrimoine vinicole.
Les grands terroirs hexagonaux : champagne, bordeaux, bourgogne et leurs spécificités
La Champagne, avec ses sols crayeux et son climat continental aux influences océaniques, produit les vins effervescents les plus célèbres du monde. Les cépages Pinot Noir, Pinot Meunier et Chardonnay y trouvent un équilibre parfait, donnant naissance à des bulles d'exception. La méthode champenoise, minutieusement codifiée, implique une seconde fermentation en bouteille et un vieillissement prolongé sur lattes. Ce savoir-faire unique, perfectionné notamment par Dom Pérignon au XVIIe siècle, a fait de ce vin le symbole universel de la célébration.
Bordeaux, avec ses 120 000 hectares de vignes, représente le plus grand vignoble d'AOC au monde. La région se divise en plusieurs zones distinctes, chacune avec ses caractéristiques propres : Médoc, Saint-Émilion, Pomerol, Graves, Sauternes... Le climat océanique tempéré et les sols variés (graves, argilo-calcaires) permettent l'expression optimale de cépages emblématiques comme le Cabernet Sauvignon, le Merlot ou le Sémillon. Le classement de 1855, commandé par Napoléon III, a établi une hiérarchie des châteaux qui perdure encore aujourd'hui.
La Bourgogne incarne l'expression ultime du terroir à travers deux cépages principaux : le Pinot Noir pour les rouges et le Chardonnay pour les blancs. Cette région, plus petite mais infiniment parcellisée, compte plus de 100 appellations réparties sur 28 000 hectares. La notion de climat y est centrale, avec des parcelles parfois minuscules dont les caractéristiques uniques influencent profondément le vin. Le système de classification bourguignon (régionale, village, premier cru, grand cru) reflète cette approche parcellaire minutieuse qui fait la renommée mondiale de la région.
Le terroir n'est pas seulement une question de sol et de climat, c'est aussi une question d'âme. C'est la rencontre entre un lieu, un cépage et des hommes qui, génération après génération, apprennent à en tirer la quintessence.
L'impact de la french touch viticole sur les marchés internationaux
L'influence française sur la viticulture mondiale est considérable et multiforme. Les cépages français comme le Cabernet Sauvignon, le Chardonnay, le Merlot ou la Syrah ont conquis les vignobles du monde entier, de la Californie à l'Australie en passant par l'Afrique du Sud et le Chili. En 2023, les exportations de vins français ont atteint 11,6 milliards d'euros, confirmant leur position de leader sur le segment premium. Cette domination s'explique par la combinaison unique de facteurs naturels et humains qui caractérise l'approche française du vin.
Le modèle des appellations françaises a également inspiré de nombreux pays qui ont développé leurs propres systèmes de classification d'origine. L'Italie avec ses DOC/DOCG, l'Espagne avec ses DO, ou encore les AVA américaines témoignent de cette influence. Plus récemment, des pays comme la Chine ou le Japon ont adopté des systèmes similaires, reconnaissant la pertinence de cette approche pour valoriser leurs terroirs viticoles émergents.
Le savoir-faire français s'exporte également à travers les consultants et œnologues qui parcourent le monde pour partager leur expertise. Des figures comme Michel Rolland ou Stéphane Derenoncourt ont contribué à façonner le style de domaines prestigieux sur tous les continents. Par ailleurs, les écoles d'œnologie françaises forment chaque année des étudiants venus du monde entier, perpétuant ainsi l'influence de la viticulture française à l'échelle globale.
La renaissance des cépages autochtones français comme marqueurs d'authenticité
Face à la mondialisation viticole et à l'homogénéisation des goûts, la France redécouvre depuis quelques décennies la richesse de son patrimoine ampélographique. Des cépages longtemps négligés ou oubliés retrouvent aujourd'hui leurs lettres de noblesse, portés par une nouvelle génération de vignerons en quête d'authenticité et de singularité. Cette tendance s'inscrit dans une démarche plus large de préservation de la biodiversité viticole et de différenciation sur des marchés de plus en plus concurrentiels.
Dans le Sud-Ouest, des variétés comme le Petit Manseng, le Fer Servadou ou le Duras connaissent un regain d'intérêt. En Provence, le Tibouren et la Roussanne retrouvent leur place dans les assemblages. La Savoie valorise ses cépages locaux comme la Mondeuse, le Gringet ou la Jacquère. La Corse, véritable conservatoire ampélographique, cultive avec fierté le Nielluccio, le Sciaccarello ou le Vermentino. Cette redécouverte s'accompagne souvent d'une approche viticole plus respectueuse de l'environnement.
Selon l'Institut Français de la Vigne et du Vin, la France possède plus de 300 cépages autochtones, dont seulement une cinquantaine est largement cultivée. Ce trésor génétique représente non seulement un patrimoine culturel inestimable mais aussi une ressource précieuse face aux défis du changement climatique. Les cépages locaux, souvent mieux adaptés à leur environnement d'origine, pourraient offrir des solutions naturelles pour maintenir la viticulture dans certaines régions menacées par le réchauffement global.
Les méthodes artisanales de vinification préservées par les vignerons français
Au-delà des terroirs d'exception et des cépages nobles, la réputation des vins français repose sur des méthodes de vinification perfectionnées au fil des siècles. Ces pratiques, transmises de génération en génération, constituent un patrimoine immatériel précieux. Malgré les avancées technologiques et l'évolution des goûts, de nombreux vignerons français continuent de privilégier des approches traditionnelles, convaincus que le respect de ces méthodes est essentiel pour produire des vins authentiques, expressifs et capables de vieillir harmonieusement.
La vendange manuelle : sélection parcellaire et tri qualitatif dans les grands domaines
Si la mécanisation a gagné de nombreux vignobles pour des raisons économiques, la vendange manuelle reste la norme dans les domaines d'excellence. Cette pratique, plus coûteuse et exigeante, offre des avantages qualitatifs indéniables. Elle permet une récolte sélective, adaptée à la maturité hétérogène des raisins au sein d'une même parcelle. Dans des régions comme la Côte d'Or bourguignonne ou les coteaux escarpés de Côte-Rôtie, cette approche parcellaire reflète une compréhension intime du terroir et une recherche d'expression optimale.
La vendange manuelle préserve également l'intégrité des baies, évitant l'oxydation prématurée et les macérations indésirables. Elle s'accompagne généralement d'un tri rigoureux, parfois en plusieurs étapes (sur pied, à la vigne, sur table de tri), pour éliminer les raisins altérés ou insuffisamment mûrs. Certains domaines prestigieux, comme Romanée-Conti en Bourgogne, poussent cette sélection à l'extrême, avec des vendangeurs expérimentés qui choisissent grappe par grappe, voire baie par baie dans les millésimes difficiles.
Cette attention méticuleuse se retrouve également dans les grands domaines de Champagne, où le Code des Usages Champenois impose la vendange manuelle pour toutes les appellations. Cette exigence permet non seulement un tri qualitatif mais aussi un pressurage en grappes entières, essentiel pour obtenir des jus clairs et délicats. Selon les données du Comité Champagne, cette région emploie chaque année près de 120 000 vendangeurs saisonniers pour récolter ses 34 000 hectares de vignes en seulement trois semaines.
Fermentation naturelle et levures indigènes : le savoir-faire des vignerons nature
La fermentation naturelle, avec les levures indigènes présentes naturellement sur la pruine des raisins et dans l'environnement du chai, connaît un regain d'intérêt significatif. Ce choix, qui était la norme avant l'apparition des levures sélectionnées dans les années 1970, s'inscrit dans une démarche de minimum d'intervention et de respect du terroir. Les vignerons qui pratiquent ces fermentations spontanées cherchent à préserver la signature aromatique unique de leur lieu et de leur millésime.
Cette approche n'est pas sans risques : départs de fermentation plus lents, fermentations parfois incomplètes, développement possible d'arômes indésirables. Elle exige une surveillance constante et une grande expérience. Pourtant, de plus en plus de domaines prestigieux reviennent à cette pratique, convaincus qu'elle contribue à la complexité et à l'authenticité de leurs vins. En Bourgogne, des domaines comme Leflaive ou Leroy utilisent exclusivement des levures indigènes, même pour leurs grands crus.
Le mouvement des vins naturels a largement contribué à populariser cette approche. Ces producteurs, comme Pierre Overnoy dans le Jura ou Marcel Lapierre en Beaujolais, ont démontré qu'il était possible de produire des vins expressifs et stables sans intrants œnologiques. Selon une étude de 2023, la France compte désormais plus de 3 500 domaines travaillant en vinification naturelle ou avec un minimum d'interventions, soit près de 5% des exploitations viticoles françaises.
L'élevage traditionnel en fûts de chêne français et son influence organoleptique
L'élevage en fûts de chêne constitue une étape cruciale dans l'élaboration de nombreux grands vins français. Cette pratique ancestrale, perfectionnée au fil des siècles, permet non seulement une évolution contrôlée du vin grâce à une micro-oxygénation naturelle, mais aussi un enrichissement aromatique et structurel. Le chêne français, particulièrement celui des forêts de Tronçais, Allier, Nevers, Vosges ou Limousin, est reconnu mondialement pour sa qualité exceptionnelle et ses propriétés organoleptiques uniques.
La tonnellerie française, qui produit environ 670 000 fûts par an, exporte près de 70% de sa production vers les plus grands domaines viticoles du monde. Ce savoir-faire artisanal commence par la sélection rigoureuse des arbres, souvent centenaires, et se poursuit par un séchage natur
el des fûts implique un fendage artisanal du bois, suivant le fil naturel, et non un sciage, pour préserver les qualités du chêne. Après deux à trois ans de séchage à l'air libre, les douelles sont façonnées, cintrées à chaud puis toastées à différents niveaux selon le profil aromatique recherché. Cette étape de chauffe est déterminante, influençant profondément le caractère final du vin qui sera élevé dans ces fûts.
L'impact du fût sur le vin est complexe et dépend de nombreux facteurs : origine du bois, niveau de chauffe, âge du fût, durée d'élevage... Les vins blancs de Bourgogne bénéficient généralement d'un élevage en fûts à chauffe légère qui apporte finesse et complexité sans masquer le fruit. Les grands Bordeaux rouges, avec des élevages plus longs (18 à 24 mois), recherchent souvent une structure tannique plus affirmée. Dans chaque région, les vignerons ont développé des pratiques spécifiques, adaptées à leurs cépages et aux styles de vins qu'ils souhaitent produire.
Techniques ancestrales réinventées : méthode champenoise et macération carbonique
La méthode champenoise, codifiée progressivement depuis le XVIIe siècle, représente un sommet de précision technique et de patience. Ce procédé d'élaboration des vins effervescents par seconde fermentation en bouteille exige une maîtrise parfaite à chaque étape : assemblage minutieux des vins de base, ajout précis de la liqueur de tirage, remuage progressif des bouteilles et dégorgement délicat. Si Dom Pérignon n'a pas inventé le champagne comme le veut la légende, il a incontestablement contribué à perfectionner les techniques d'assemblage et de vinification qui font aujourd'hui la renommée mondiale de ces vins.
Cette méthode traditionnelle, protégée par l'appellation Champagne dans sa région d'origine, a inspiré les producteurs du monde entier. En France même, les Crémants d'Alsace, de Bourgogne, de Loire ou du Jura utilisent ce même procédé, adapté à leurs terroirs et cépages spécifiques. L'innovation récente dans ce domaine ne consiste pas à modifier fondamentalement la méthode, mais plutôt à l'affiner : remuage automatisé, dégorgement à la glace, ou encore allongement des périodes de vieillissement sur lattes qui peuvent désormais dépasser dix ans pour certaines cuvées de prestige.
La macération carbonique, technique emblématique du Beaujolais, connaît également un renouveau significatif. Cette méthode ancestrale, qui consiste à fermenter des raisins entiers non éraflés en atmosphère saturée en CO2, permet d'obtenir des vins fruités, souples et rapidement accessibles. Longtemps associée uniquement aux vins primeurs comme le Beaujolais Nouveau, elle est aujourd'hui réinvestie par une nouvelle génération de vignerons dans diverses régions. En Languedoc, dans la Loire ou même en Bourgogne, certains producteurs l'utilisent pour une partie de leur production, souvent sur des cépages comme le Grenache ou la Syrah, créant ainsi des vins d'une fraîcheur et d'une gourmandise remarquables.
La distillation française : un patrimoine séculaire d'excellence
Au-delà de ses vins prestigieux, la France possède un patrimoine exceptionnel dans l'art de la distillation. Cet héritage, forgé au fil des siècles, a donné naissance à certains des spiritueux les plus renommés au monde. Chaque région a développé ses spécialités, tirant parti de son terroir et de ses traditions pour créer des eaux-de-vie uniques. Des grandes maisons historiques aux petits producteurs artisanaux, ce savoir-faire continue d'évoluer, entre respect scrupuleux des méthodes ancestrales et innovations mesurées pour répondre aux attentes contemporaines.
Des alambics charentais aux colonnes de cognac et d'armagnac
Le Cognac et l'Armagnac, fleurons des eaux-de-vie françaises, incarnent deux approches distinctes de la distillation. Le Cognac, élaboré dans la région éponyme autour de la Charente, est obtenu par double distillation dans un alambic charentais traditionnel, dit "à repasse". Ce procédé, minutieusement réglementé, permet d'obtenir une eau-de-vie d'une grande finesse aromatique. Chaque maison possède ses propres alambics, souvent centenaires, dont la forme spécifique influence directement le profil du distillat. Cette distillation lente et mesurée doit impérativement être réalisée avant le 31 mars suivant la récolte.
L'Armagnac, plus ancien eau-de-vie de France documentée dès 1310, privilégie traditionnellement une distillation unique mais continue, dans un alambic à colonne spécifique appelé alambic armagnacais. Cette méthode préserve davantage les arômes du vin initial et confère au spiritueux un caractère plus rustique et intense que son cousin charentais. Les deux régions partagent cependant une même exigence dans le choix des cépages (Ugni Blanc principalement, complété par le Folle Blanche et le Colombard) et un élevage sous bois qui peut s'étendre sur plusieurs décennies, transformant progressivement le distillat incolore en un élixir ambré aux arômes complexes.
La production française de spiritueux ne se limite pas à ces deux prestigieuses appellations. La France compte plus de 40 eaux-de-vie bénéficiant d'une indication géographique protégée, chacune reflétant son terroir d'origine et des méthodes de distillation spécifiques. Des calvados normands aux eaux-de-vie de fruit d'Alsace, en passant par les rhums agricoles des départements d'outre-mer, cette diversité témoigne de la richesse du patrimoine distillatoire français.
Herboristerie et botaniques dans l'élaboration des spiritueux français
L'art de l'infusion et de la macération de plantes dans les spiritueux constitue un autre pilier du savoir-faire français. Des liqueurs médicinales élaborées par les moines au Moyen Âge aux spiritueux contemporains, cette tradition herboristique perdure et s'enrichit constamment. Les producteurs français se distinguent par leur connaissance approfondie des plantes, sélectionnées pour leurs propriétés aromatiques et organoleptiques. Cette expertise se traduit par des équilibres parfaits entre douceur, amertume et complexité aromatique.
Le cas de l'absinthe illustre parfaitement cette maîtrise botanique. Cette liqueur emblématique, interdite en 1915 avant d'être réhabilitée en 2011, nécessite un assemblage complexe de plantes dominé par la grande absinthe, l'anis vert et le fenouil, complété par diverses plantes aromatiques. Les distillateurs du Pontarlier, berceau historique de l'absinthe, ont préservé ces recettes ancestrales malgré la longue prohibition. Aujourd'hui, une vingtaine de distilleries françaises perpétuent cet héritage, avec une production annuelle de près de 800 000 bouteilles, dont 70% sont exportées.
Le célèbre Pastis, apéritif emblématique du Sud de la France, témoigne également de cette tradition herboristique. Créé dans les années 1920 comme alternative à l'absinthe, il est élaboré à partir d'anis étoilé, de réglisse et d'un mélange propriétaire d'herbes provençales. Chaque maison possède sa recette jalousement gardée, certaines utilisant jusqu'à 80 plantes et épices différentes. Avec plus de 130 millions de litres consommés annuellement en France, le Pastis représente un élément central de l'art de vivre méditerranéen.
Le terroir dans la bouteille : l'expression des eaux-de-vie régionales
L'influence du terroir, concept central dans l'univers du vin français, s'applique avec la même pertinence aux spiritueux. Chaque région produit des eaux-de-vie qui reflètent son environnement naturel, ses traditions agricoles et son héritage culturel. Cette notion de terroir s'exprime à travers le choix des matières premières, mais aussi par les méthodes de fermentation, de distillation et d'élevage spécifiques à chaque zone de production.
Le Calvados de Normandie illustre parfaitement cette expression du terroir. Cette eau-de-vie de cidre, dont les premières mentions remontent au XVIe siècle, se décline en trois appellations distinctes reflétant leurs terroirs respectifs : Calvados, Calvados Pays d'Auge et Calvados Domfrontais. Le Pays d'Auge, avec ses sols argileux à silex, produit des eaux-de-vie plus fines et élégantes après une double distillation, tandis que le Domfrontais, qui impose un minimum de 30% de poiré dans le moût, offre des notes plus fruitées et florales. Ces différences ne sont pas seulement liées aux techniques de production, mais aussi aux variétés de pommes utilisées, avec plus de 200 variétés approuvées pour l'élaboration du Calvados.
Dans l'Est de la France, l'eau-de-vie de mirabelle de Lorraine représente un autre exemple éloquent de spiritueux de terroir. Cette région produit 70% des mirabelles françaises, avec des vergers centenaires bénéficiant d'un microclimat idéal. La distillation traditionnelle en alambic à repasse et l'absence de vieillissement sous bois permettent de préserver intacte l'expression aromatique du fruit. Selon les données de l'IGP Mirabelle de Lorraine, moins de 15% de la production fruitière est destinée à la distillation, assurant une sélection rigoureuse des fruits les plus parfumés.
Chartreuse, génépi, gentiane : les liqueurs montagnardes et leurs secrets de fabrication
Les massifs montagneux français, des Alpes aux Pyrénées en passant par le Massif Central, ont donné naissance à des liqueurs emblématiques élaborées à partir de plantes d'altitude. Ces spiritueux, souvent initialement conçus pour leurs vertus médicinales, font aujourd'hui partie intégrante du patrimoine gustatif national. Leurs recettes, parfois gardées secrètes pendant des siècles, témoignent d'une connaissance approfondie de la flore alpine et d'un savoir-faire artisanal remarquable.
La Chartreuse est sans doute la plus célèbre de ces liqueurs montagnardes. Élaborée depuis 1737 par les moines chartreux selon une recette secrète comprenant 130 plantes, elle reste aujourd'hui produite exclusivement par trois moines qui sont les seuls dépositaires de la formule complète. Chaque moine ne connaît qu'une partie de la recette, assurant ainsi sa protection. La distillerie, située à Entre-deux-Guiers en Isère, produit plusieurs versions dont la Verte (55°) et la Jaune (43°), aux profils aromatiques distinctifs. Le processus de macération, distillation et vieillissement peut s'étendre sur plusieurs années avant la mise en bouteille.
Le Génépi, autre liqueur alpine emblématique, est élaboré à partir des fleurs d'artemisia, plantes qui poussent naturellement en haute altitude dans les Alpes. Chaque producteur possède sa propre méthode, mais le processus traditionnel implique généralement une macération des fleurs dans de l'alcool neutre, suivie d'une filtration minutieuse et d'un repos permettant aux arômes de s'harmoniser. Dans certaines régions comme la Savoie, la cueillette de l'artemisia sauvage est strictement réglementée pour préserver cette ressource précieuse, et de nombreux producteurs ont développé des cultures contrôlées pour assurer la durabilité de leur production.
La Gentiane, élaborée principalement dans le Massif Central, met à l'honneur la racine de gentiane jaune, plante emblématique des montagnes françaises dont l'extraction constitue un véritable défi. Ces racines, qui peuvent atteindre plus d'un mètre de profondeur, sont traditionnellement arrachées à l'aide d'une fourche spéciale appelée "crochet à gentiane". Après lavage et séchage, elles sont macérées dans un mélange d'eau et d'alcool pour extraire leurs principes aromatiques et leur amertume caractéristique. La liqueur Suze, créée en 1889, ou l'Avèze, sont des exemples célèbres de cette tradition qui a transformé un remède ancestral en un apéritif apprécié nationalement.
Les artisans brasseurs français : renaissance d'une tradition brassicole
La France, souvent associée à son excellence viticole, connaît depuis deux décennies une renaissance remarquable de sa culture brassicole. Pays autrefois riche de milliers de brasseries locales, la France avait vu ce patrimoine quasiment disparaître au profit d'une production industrielle concentrée. Aujourd'hui, sous l'impulsion d'artisans passionnés, le paysage brassicole français se réinvente, associant traditions ancestrales et innovations contemporaines. Cette révolution de la bière artisanale française, inspirée par le mouvement craft américain mais profondément ancrée dans les terroirs hexagonaux, transforme progressivement notre rapport à cette boisson millénaire.
Le nombre de brasseries artisanales en France a connu une croissance exponentielle, passant d'environ 250 en 2010 à plus de 2 300 en 2023, selon les données du syndicat national des brasseurs indépendants. Cette floraison d'initiatives locales s'observe sur l'ensemble du territoire, des bastions historiques du Nord et de l'Est jusqu'aux régions sans tradition brassicole comme la Bretagne, la Provence ou le Sud-Ouest. Ces micro-brasseries, souvent installées en zones rurales, participent à la revitalisation économique de territoires en difficulté tout en créant un nouvel artisanat d'excellence.
Les brasseurs artisanaux français se distinguent par leur créativité et leur attachement aux ingrédients locaux. Si les styles internationaux comme l'IPA ou la Stout sont largement représentés, beaucoup développent des recettes originales incorporant des éléments du terroir : fruits, plantes aromatiques, épices ou miel. Certains poussent l'ancrage local jusqu'à cultiver leurs propres orges et houblons, voire à réactiver des variétés anciennes oubliées.